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Issâ Padovani : une autre vision de l'argent

Une autre vision de l’argent

Je reçois régulièrement des commentaires de personnes qui semblent choquées que je demande une participation financière pour les Rencontres au coeur du Vivant que je donne en présentiel ou pour les parcours du Club CNV que je propose sur Internet.
Apparemment, elles attendent de moi que je donne tout ce que je partage avec le grand public sans jamais rien demander au niveau financier, sans quoi cela fait de moi, selon leurs dires, un « commerçant » ou quelqu’un de « mercantile »…

Je mesure, en lisant cela, combien la relation à l’argent est un sujet sensible, en particulier dans les milieux du développement personnel et de la spiritualité et je vois combien certaines croyances à ce sujet sont tenaces…
Pourtant, il ne viendrait à l’idée de personne d’attendre que son boulanger lui offre gratuitement sa baguette de pain tous les jours, ou que son artiste préféré se mette à donner ses disques ou à proposer tous ses concerts à titre gratuit…

Lorsqu’on me fait ce type de procès d’intention (de faire du mercantilisme spirituel parce que mes Rencontres au coeur du Vivant sont payantes), alors que depuis des années, je consacre en moyenne une à deux heures par jour, 365 jours par an, à créer du matériel que je diffuse gratuitement (sur mes réseaux sociaux et sur ma chaine YouTube), je me vois un peu comme un boulanger qui offrirait tous les jours gratuitement des brioches, des croissants, du pain, à toutes celles et ceux qui passent par sa boulangerie.
Et, six à sept fois par an, il propose en week-end des ateliers “Confection du pain et de viennoiseries” où il demande une participation financière qui lui permettra de pouvoir continuer à offrir gratuitement tout ce qu’il donne le reste de l’année.
S’il se faisait alors taxer de “personne intéressée” et de “mercantile”, je gage qu’il serait assez ahuri, puis atterré et triste, d’être aussi peu vu et compris dans son intention : il en est de même pour moi, les amis…

Je peux bien sûr me relier à la frustration de celles et ceux qui, ravis de bénéficier toute l’année des nourritures qui leurs sont offertes gratuitement, sont dépités de ne pas avoir les moyens de s’offrir l’atelier en week-end proposé par le boulanger. Mais, au-delà de ce que ce type d’attitude peut susciter comme sentiments chez moi, je suis surtout touchée en me reliant à ce qui l’origine : j’y vois une profonde incompréhension du principe de l’équilibre dans le donner et le recevoir, lorsqu’il se vit dans des échanges relationnels se déroulant dans le domaine spirituel ou du développement personnel. Apparemment, les valeurs et aspirations élevées qui animent les êtres cheminant dans ces domaines se muent en exigence et vindicte lorsque d’aucuns osent simplement être humains et exprimer leurs besoins au niveau matériel.

Une de mes amies m’a raconté qu’un boulanger de ses amis qui, lorsque quelqu’un lui donnait de l’argent pour une baguette en lui disant “Voilà pour la baguette !”, avait coutume de répondre : « Ah non, celle-ci, elle est gratuite, car elle est déjà faite ! L’argent que vous me donnez, c’est pour pouvoir faire les prochaines ! ».
Ce petit exemple illustre la réalité du mouvement de l’équilibre dans le donner et le recevoir : le boulanger ne vend pas son pain POUR recevoir de l’argent, mais il demande un retour financier pour le pain qu’il offre afin d’avoir les moyens de pouvoir continuer à en offrir…

Je suis bien sûre conscient que cette vision de l’argent est valable pour les êtres qui fonctionnent à partir de leur élan de contribution : je ne suis pas aveugle et je vois bien que certains êtres ont une autre vision de l’argent et des relations humaines, et que leur motivation première est bien de se “faire de l’argent” et non de contribuer. Je peux me relier à celles et ceux qui, en ce cas, utilisent l’étiquette “mercantile” pour exprimer leur déception de voir un être qui agit uniquement à partir de ses besoins personnels sans prendre en compte ceux d’autrui.

Selon mon expérience, on a deux cas :
1) l’individu qui agit à partir de son élan de contribution et qui demande un retour (quelle qu’en soit la forme) pour avoir les moyens que son élan puisse continuer à se vivre : l’argent n’est pas son but, mais un simple moyen de pouvoir concrétiser son aspiration à contribuer pour autrui.
2) l’individu qui agit à partir de besoins plus personnels et qui agit en ayant comme motivation première de “gagner de l’argent”, afin de pouvoir faire tout ce qui fait sens et joie pour lui. L’argent devient alors un but, l’autre étant un moyen potentiel d’en obtenir.
Je nomme « mercantile » celui dont l’intention première est de gagner de l’argent, pas celui dont l’intention première est son élan de contribution. Selon cette vision, je ne me considère donc jamais comme « mercantile » quand je dis le montant qu’il me fait joie à recevoir pour me donner les moyens de continuer à vivre mon élan de contribution.

Si je reprends les deux exemples précédents, dans le premier cas, on se prend en compte, pour pouvoir être au service d’autrui. Dans le deuxième, on ne prend en compte que soi-même.
Dans les deux cas, on se prend en compte.
D’où vient donc l’idée, la croyance, qu’il y aurait un cas dans lequel il pourrait être viable sur la durée de ne pas se prendre en compte du tout ?

Actuellement, je vois que je ne me sens pas confortable avec le positionnement qui consiste à attendre (voire exiger) que les personnes qui ont fait le choix de dédier leur vie à prendre soin des autres le fassent en devant auto-financer leur vie quotidienne, sans rien demander à quiconque, sous prétexte que ce qu’elles partagent est dans un domaine qui a à voir avec la contribution pour l’être humain.

C’est comme si on attend de ces êtres qu’ils donnent deux fois :
– la première, par le fait qu’ils donnent ce qu’ils transmettent
– la deuxième, par le fait qu’ils se débrouillent par eux-mêmes pour trouver comment avoir les moyens de vivre d’une manière qui leur permet de pouvoir continuer à transmettre…

A mon sens, cette manière de voir les choses ne prend pas en compte la réalité de l’équilibre entre le donner et le recevoir, qui permet à celui qui donne d’avoir les moyens matériels de continuer à le faire…

En d’autres termes “Qu’est-ce que je donne à celui qui me donne, afin qu’il ait les moyens de continuer à pouvoir donner ?”

A ce sujet, j’aime beaucoup cette vidéo de Christian Junod, expert de la relation à l’argent, sur le thème « La dictature de la gratuité« , une vidéo qu’il avait filmée face à certaines réactions lors de l’annonce du Coffret payant du Sommet de la Conscience 2018.

L’argent est de nos jours un moyen pratique de pouvoir équilibrer cette dynamique du donner et du recevoir, mais il n’est pas le seul…

Par exemple, dans les traditions claniques ancestrales, en Gaule, les guérisseurs d’un clan ne demandaient pas d’argent pour leurs consultations, mais ils recevaient du clan un toit, des vêtements, de la nourriture et tout ce dont ils avaient besoin pour pouvoir continuer à contribuer pour le clan : ainsi, ils avaient les moyens de pouvoir continuer à donner leurs soins à chacun.

Je trouve donc assez ahurissant que l’on attende, voire que l’on exige de quelqu’un (sous peine de jugement sévère sur sa manière de fonctionner), qu’il donne, donne, donne, sans rien demander en retour… Je constate que les êtres qui ne demandent pas explicitement quelque chose en retour (je pense à Amma, ou d’autres êtres comme elles) sont entourés de personnes qui ont à coeur de leur donner quotidiennement tout ce dont ils ont besoin pour vivre et fonctionner de la manière qui leur permet de continuer à donner.

Je vois là une dimension du “prendre soin de ce qui nous est précieux” qui fait beaucoup sens pour moi, car elle me semble être l’incarnation d’une vision réaliste de la vie et de l’être humain, ainsi que la mise en oeuvre concrète de nos aspirations les plus élevées à l’entraide et à l’interdépendance.

La gratuité financière ne peut s’exercer à mon sens que si elle est le moteur d’une chaîne relationnelle fondée sur l’interdépendance vécue entre tous, qui prend soin à la fois du receveur (qui bénéficie de la gratuité) ET du donneur (qui l’offre), les besoins matériels de ce dernier étant nourris par un ou plusieurs autres acteurs du cercle auquel il appartient.

Exiger la gratuité de manière unilatérale (de la part du donneur) revient à ne pas prendre en compte la réalité de notre nature humaine, qui se met toujours en action selon deux axes :
l’élan : l’élan de contribution étant le moteur premier de l’être humain, lorsqu’il est connecté à la Vie qui le traverse
les moyens : qui lui permettent de mettre en œuvre cet élan Sans moyens, l’élan ne peut plus se vivre et l’argent est l’une des manières de pouvoir donner à l’élan de contribution les moyens de s’exercer de manière pérenne.

Marshall Rosenberg, père de la Communication NonViolente, partage sa vision de l’argent comme moyen de vivre l’équilibre au niveau du donner et du recevoir en ces termes :

« Ne paye jamais pour quoi que ce soit et, à la place, donne aux personnes de l’argent à partir de l’intention de les soutenir à faire leur travail. »
et
« Ne travaille jamais pour de l’argent mais assure toi toujours que tu as assez de ressources pour faire ton travail. »

Il disait également :

J’aime également beaucoup ce qu’en dit Miki Kashtan, une formatrice certifiée du CNVC qui m’inspire depuis des années par la force de son engagement dans la transmission de la CNV. Elle a un blog où elle écrit des articles de fond hebdomadairement et j’ai toujours été admirative du temps et de l’énergie que je lui voyais consacrer pour offrir ainsi gratuitement ces trésors de conscience…
Elle écrit, sur le thème de sa relation à l’argent :

Je ne veux rien vendre à quelqu’un tant qu’il ne voit pas en quoi ce que je lui propose est un cadeau pour lui-même !
et
Je ne me vois pas comme « gagnant » de l’argent. Je me vois comme demandant de l’argent et comme donnant de l’argent à ceux qui demandent. Je ne demande pas aux gens « Combien ça coûte ? » A la place, je demande « Qu’aimeriez-vous recevoir ? » Le tournant dans ma vie au sujet de ma vision de l’argent a été lorsque j’ai commencé à réfléchir à ce pourquoi je demandais de l’argent et j’ai découvert que ce n’était pas pour moi, en fait. C’était pour pouvoir avoir les moyens de vivre, prospérer et contribuer. Une fois que j’ai eu assez d’intégrité au sujet de la façon dont je faisais mes choix au sujet de l’argent, j’ai senti un plein sentiment d’intégrité en demandant de l’argent pour être en mesure de faire cela. Auparavant, demander de l’argent me semblait sacrilège, comme si cela menaçait le travail sacré que je venais de terminer. Une fois que j’ai adopté le paradigme de Marshall de ne pas travailler « pour » recevoir de l’argent, mais d’oser demander celui dont j’ai besoin pour pouvoir continuer à offrir ce que j’ai de la joie à partager, j’en suis arrivée à accepter ce que sont mes vrais besoins, y compris le besoin de soutien d’autres personnes…

Si l’argent n’existait pas, si notre société était fondée sur d’autres moyens pour équilibrer le donner et le recevoir, je sais que je serai en train de fonctionner de toute façon dans une dynamique d’abondance, car c’est celle que je vois être le plus au service de la Vie, car elle est la dynamique de la Vie elle-même, qui EST pure abondance !

Je vois chaque jour combien le fait que j’incarne ainsi l’abondance possible et que je l’assume à 100%, osant en parler ouvertement sur la place publique comme je le fais ici, soutient certains êtres à accéder à leur propre abondance…

Je vois également combien cela en stimule d’autres, qui semblent penser que l’abondance de l’un est la cause du manque de l’autre… Elle l’est peut-être dans le cas d’êtres qui ont pour seul objectif dans la vie de « gagner de l’argent » en s’en foutant de le gagner sur le dos des autres, mais en aucun cas dans le cas d’être dont l’intention première est de contribuer au mieux-être d’autrui et pour lesquels l’argent est un simple moyen au service de cette intention…

J’espère que le contenu de cet article contribuera à la clarté pour chacun et pour conclure, je vous recommande chaleureusement, si vous souhaitez cheminer par rapport à votre relation à l’argent :

  • le cahier d’exercices « Le défi des 100 jours : pour libérer sa relation à l’argent et vivre son abondance » co-créé par Christian Junod et Lilou Macé.
  • le livre de Christian Junod « Ce que l’argent dit de nous » (préfacé par Thomas d’Ansembourg), qui invite à conscientiser notre relation à l’argent et à trouver une manière de le vivre qui soit plus paisible, joyeuse et au service de nos aspirations profondes.
  • le livre de Peter Koenig « 30 mensonges sur l’argent : libérez votre vie, libérez votre argent« .

Je laisse le mot de la fin à Christian, extrait de son ouvrage « Ce que l’argent dit de nous » :

“Il y a une croyance collective selon laquelle il est normal que les activités où les valeurs humaines sont très présentes ne soient pas ou peu rémunérées.
À l’inverse, les métiers porteurs de peu de valeurs humaines sont plutôt bien payés.
C’est comme si moins l’éthique était présente, plus l’argent pouvait couler à flots sans déclencher de grandes réactions émotionnelles.
Ne trouvez-vous pas ce raisonnement surprenant, voire choquant ?
Est-ce qu’il ne mériterait pas d’être revu, mieux encore, d’être renversé ?
Ainsi, plus un humain apporterait du bien-être aux autres, à notre environnement,
mieux il serait payé.”

A bientôt, ici ou là, au coeur du Vivant !

Issâ Padovani

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